Français
Née à Charleville-Mézières, France (1956).
Licence et Maîtrise d’Arts Plastiques / université d’Aix-Marseille I, faculté de lettres (1977 – 1980).
Bourse de recherche du gouvernement japonais puis de la Fondation du Japon / Université de Tokyo
(1982-86).
Doctorat de 3è cycle d’Arts Plastiques / université de Paris I, Sorbonne (1986)
Vit et travaille au Japon (Kanazawa) comme en France (Paris).
L’art étant devenu pour moi le lieu et le moyen de s’interroger sur ce qu’il y a de plus essentiel à l’homme, c’est vers le mot et la lettre, principalement écrits ou imprimés, que graduellement je me suis tournée. L’essor des sciences du langage au début de mes études et la découverte du travail d’un artiste japonais, Shusaku Arakawa, suivie quelques années plus tard de mon installation au Japon, ont fortement déterminé ce choix. Depuis, mot et lettre sont au cœur de mon travail.
Dans un premier temps ma confrontation avec la culture nippone m’a fait réaliser le poids de cette « épaisse croûte de discours » (Italo Calvino) qui pèse de plus en plus sur le monde et nous aveugle, et découvrir toute la force du silence pour dépasser les limites des mots et approfondir le Réel. De là sont nés divers objets ou installations réalisés à partir de livres, de dictionnaires ou de journaux, mais aussi d’outils liés à l’écriture ou à l’imprimerie comme le papier à écrire, la craie ou les caractères d’imprimerie. Quand les mots ou lettres y sont présents, ils sont généralement rendus muets par l’effacement, le découpage, le broyage, la fusion ou la distorsion, pour tenter de révéler leur force secrète, indépendamment de tout message, et nous inviter à réfléchir sur la réalité profonde qu’ils recouvrent autant qu’ils découvrent.
Avec le développement de l’informatisation attirer l’attention sur le mot et la lettre me semble plus nécessaire encore que jamais. En effet, quand texte il demeure, celui-ci n’existe bien souvent que comme « fichier informatique ». À l’instar de beaucoup d’autres choses aujourd’hui, il perd alors à la fois en substance et en durabilité, deux qualités indispensables « pour stabiliser la vie humaine » (Hannah Arendt) et permettre à chacun de construire son identité ou sa singularité, ici et maintenant. À cette dématérialisation, ou changement de matérialité, s’ajoute aussi le fait que pour répondre à la tendance actuelle à vouloir quantifier plutôt que qualifier, comme aux besoins de nos outils informatiques, le mot tend aussi à faire place au chiffre ou au nombre. Autrement dit, la lettre, « signe [à l’origine] de la stabilité », s’efface devant le chiffre, « signe du flux…de l’équivalent, de l’indifférent, du remplaçable », quand elle n’est pas contrainte à s’aligner sur celui-ci. Les codes alphanumériques utilisés en informatique qui combinent chiffres et lettres de l’alphabet illustrent bien cette tendance à « vider » ou « dévitaliser » la lettre pour mieux la faire assister le chiffre ; d’où mon intérêt pour ces signes également. Sans renier les atouts de la numérisation, je ressens ces mutations imposées au mot ou à la lettre comme une atteinte au fondement même de l’humanité.
Offrir à la lettre un lieu pour elle retrouver son souffle et pour nous trouver un nouveau souffle en découvrant ou redécouvrant sa force vitale, ici, maintenant, tel est ce à quoi je m’attache en donnant plus que jamais la parole au silence qui échappera toujours au nombre.
English
Born in Charleville-Mézières, France (1956).
Bachelor and master’s degrees in visual arts / Aix-Marseille University I, literature school (1977- 1980).
Research fellowships from the Government of Japan and The Japan Foundation / Tokyo University
(1982-86).
PhD in visual arts / University of Paris I, Sorbonne (1986)
Lives and works in Japan (Kanazawa) and in France (Paris).
As art became for me the place and the way to question what is most essential to human being,
I gradually turned to word and letter, mainly written or printed. This choice was strongly determined by the development of language sciences at the beginning of my studies and the discovery of Shusaku Arakawa’s work (a Japanese artist), followed a few years later by my installation in Japan. Since then, word and letter have been at the heart of my work.
At first, my confrontation with Japanese culture made me realize the presence of this « thick crust of speech » (Italo Calvino) which weighs more and more on the world and blinds us, and discover all the power of silence to overcome the limits of words and refine the Real. This gave birth to various objects or installations made from books, dictionaries or newspapers, but also tools related to writing or printing, such as typewriters, chalk or print characters. When words or letters are over there, they usually become silent by their erasure, cutting, crushing, fusion or distortion, to try to reveal their secret strength, regardless of any message, and to invite us to think about the deep reality that they cover as much as they discover.
With the development of computerization, it seems to me more than ever necessary to draw attention to the word and the letter. In fact, when text remains, it often exists only as a « computer file ». Like so many other things today, it then loses both in substance and in durability, two essential qualities « to stabilize human life » (Hannah Arendt) and allow everyone to build their identity or their uniqueness, here and now. In addition to this dematerialization, or change in materiality, is the fact that, in order to respond to the current trend of wanting to quantify rather than qualify, as for our computer needs, the word also tends to make way to digits or numbers. In other words, the letter, « a stability sign [originally] », fades in front of the digit, « a sign of the flow…of the equivalent, of the indifferent, of the replaceable », when it is not forced to align with it. The alphanumeric codes used in computer science, which combine digits and alphabet letters, illustrate this tendency to « empty » or « devitalize » the letter to make it better assist the digit. This explains my interest for those signs as well. Without denying the digitization benefits, I feel these changes imposed on word or letter as an attack on the very foundation of humanity.
Providing the letter a place where it can breathe again, and where we can ourselves find a new breath by discovering or rediscovering its vital force, here, now, is exactly what I’m trying to focus on by giving more than ever voice to silence, which will always escape number.
(Translation Laurence Pauliac)